Un héros désenchanté met la Cité au défi de se libérer de son tyran. Un chef d’œuvre épique, une aventure de troupe. Une pièce où se cristallisent un désenchantement générationnel, un sentiment d'impasse historique et d'impuissance collective, qui n'est pas sans résonner en nous aujourd'hui.
L'histoire se déroule à Florence en 1537 : la ville est alors contrôlée par Charles Quint, empereur
du Saint-Empire Romain Germanique et par le Pape. L’empereur nomme à la tête de la ville
Alexandre de Médicis, être vil et débauché, à la vie dissolue, qui fait de la ville sa courtisane, au
désespoir de la population comme de la noblesse. Des lamentations d’une aristocratie passée
qui regrette sa splendeur perdue, aux critiques d’un peuple réprimé et banni qui rêve à voix
basse d’une nouvelle magnificence, il semble que la ville soit prête à s’embraser.
La pièce décrit le complot d’un héros romantique, Lorenzo de Médicis, visant à assassiner un
duc iconique de la décadence dans laquelle s’enfonce la ville, et parangon d’un pouvoir
arbitraire : Lorenzo qui est pourtant le fidèle compagnon de luxure du duc, l’entremetteur qui
ouvre le lit des filles, le nonchalant qui se joue et se moque de la cour, le joyeux drille qui a
décapité les têtes des statues, le trublion qui se joue des velléités de révolte d’une cour bafouée,
le dilettante qui s’est détourné des études, le poltron qui refuse le duel et le libertin qui désole sa
mère. Il devient celui que les Florentins appellent Lorenzaccio, suffixe marquant le mépris.
Incarnant toute la débauche de la ville, il jouera donc un double jeu pendant toute la pièce,
tiraillé entre le vertueux « Lorenzino », idéaliste romantique par excellence, et celui de
« Lorenzaccio », personnage corrompu et pervers, qui lui collera bientôt à la peau.
La pièce est aussi fondée sur l’entrelacement de deux autres intrigues parallèles. D’une part, le
Cardinal cherche à asseoir la mainmise de l’Eglise sur Florence à travers la liaison entre la
marquise de Cibo et le duc. S’entremêlent alors les machinations du Cardinal, les espoirs pour la
marquise de faire du duc un meilleur prince, la volonté de jouissance immédiate du duc qui se
lasse très vite des discours politiques de la marquise. D’autre part, Julien Salviati, ami du duc,
interpelle grossièrement Louise Strozzi et se joue d’elle ouvertement. Son père, et ses frères, chefs
de file du camp républicain, fermement opposés au duc décident de se faire justice. Mais des
dissensions apparaissent au sein du clan Strozzi sur la façon de laver l’affront. Si les frères
décident de prendre les armes d’abord pour tuer Salviati puis pour mener la révolte contre le
duc, leur père se montre plus mesuré. La mort subite de Louise Strozzi entraîne l’exil à Venise de
son clan où son père appelle de ses voeux un soulèvement mais ne veut plus le mener et où ses
frères sont abandonnés par leurs troupes de dissidents.
Lorenzo, lors de l’exécution de son plan, fait le tour des demeures républicaines pour annoncer
la mort prochaine du duc et l’occasion propice d’un soulèvement : il est dédaigné pour le
débauché qu’il est, et personne ne l’écoute. Au palais du duc, le cardinal Cibo et le légat du
pape tentent en vain de convaincre le duc que Lorenzo complote contre lui – son incrédulité
permet in fine à Lorenzo de frapper. Mais suite au meurtre, les dignitaires du régime florentin
organisent la succession d’Alexandre : Côme de Médicis est proclamé duc, sans que la ville ne
se soulève. La révolte s’éteint, le changement annoncé n’a pas lieu.
La Florence de 1537 est le théâtre d'affrontements qui ne sont pas sans rapport avec la situation
que Musset connaît en France devant les « Trois Glorieuses », et l'échec des journées
révolutionnaires de juillet 1830. Si les désillusions politiques que cet échec engendre permettent
un parallèle avec la France de la monarchie de Juillet, Louis-Philippe succédant à Charles X,
c’est plus profondément un questionnement de la possibilité même d’un agir qui est ici posé : de
la possibilité d’un idéal, ou d’une perspective face à l’histoire. Tragédie du désenchantement,
riche en résonances devant la contemporanéité de notions telles que la « fin de siècle » ou la
« fin de l’histoire », Lorenzaccio s’affirme comme une incontournable grille de lecture de l’action
politique.
représentation personnelle à partir de l'autoportrait de Gustave Courbet et de La Liberté guidant le peuple, d'Eugène Delacroix.